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Comité de Liaison et d'Action pour la Photographie

Vive la photographie française !

Qu’il soit beau, choquant ou critique, l’Art est un capital précieux et irremplaçable. Nombre de pays ont su reconnaître, dans les formes artistiques développées sur leur territoire, une arme sans précédent pour le rayonnement international de leur culture. En tant qu’Art, la photographie n’échappe pas à cette règle. Elle est pourtant l’oubliée des politiques culturelles en France depuis des années et la crise sanitaire du coronavirus n’a fait que confirmer le manque de considération de l’Etat pour ce secteur. Pourquoi ? Qu’attendons-nous pour l’exploiter profitablement ?

Une première tribune avait été publiée dans les colonnes de Libération du 28 février 2017 titrée « La photographie française étouffe ». Une seconde lettre ouverte « La photographie ne s’est   jamais si bien portée, les photographes jamais si mal » destinée au Ministère de la Culture et publiée dans Libération voit le jour le 2 juillet 2018. L’année dernière, c’est au Président de la République que s’adresse la tribune « Sauvez la Photographie ! » soutenue par plus de 1200 professionnels du secteur et publiée dans les pages de Libération le 10 juin 2020.

Inquiets de voir le patrimoine culturel photographique français si malmené par nos institutions, le CLAP (Comité de Liaison et d’Action pour la Photographie) a commandé une étude auprès d’Ericka Weidmann afin d’analyser la visibilité des auteurs-photographes produisant en France dans les institutions et festivals nationaux dédiés à la photographie. Le résultat de cette enquête aurait dû voir le jour en mars 2020 mais les événements en ont décidé autrement et les priorités ont évolué au cours de l’année. La représentation de la création photographique française dans nos institutions en est une qui ne peut plus attendre. Nous espérions tous pouvoir faire une croix sur 2020 et commencer une nouvelle année la tête haute. Mais, nouveau coup de massue pour l’ensemble des professionnels de la photographie : au 31 décembre 2020, un décret publié au Journal Officiel annonce la réorganisation du Ministère de la Culture et la rétrogradation de la Délégation à la Photographie au rang de simple bureau ! Pour reprendre la lettre ouverte du 25 janvier 2021 à Madame Roselyne Bachelot-Narquin, Ministre de la culture : « ce décret piétine des décennies de reconnaissance progressive de cet art, qui sous l’impulsion de Frédéric Mitterrand et grâce à la volonté de Françoise Nyssen avait permis la création de la Délégation à la Photographie au sein du ministère de la Culture. »

Le moment est venu pour nous de présenter cette enquête et demander à Madame Roselyne Bachelot-Narquin, Ministre de la culture, aux services culturels régionaux, départementaux et municipaux, aux directeurs et directrices d’institutions et de festivals photographiques, aux directeurs et directrices de programmations, aux commissaires d’expositions, aux publics et tout ceux qui s’intéressent à ce médium, de soutenir la création photographique française ! Plus que jamais.

Depuis la diffusion des premières tribunes, plusieurs actions ont été menées par les pouvoirs publics pour répondre à de trop nombreuses problématiques liées à notre profession. Elles se concrétisent par la publication fin 2019 d’une circulaire sur la rémunération du droit de présentation publique, invitant les différentes structures à verser un minimum de droits d’auteurs aux artistes exposés. Aussi, la publication du rapport Racine propose une vingtaine de recommandations pour améliorer la situation, de plus en plus précaire, du statut d’auteur.

Nous nous réjouissions du nouveau tournant que semblait prendre la situation des artistes-auteurs français mais nous avons vu ces derniers mois à quel point le combat est loin d’être terminé et la précarité du statut des photographes d’autant plus inquiétante.

Après près d’une année sous cloche, et une reprise de l’activité aussi lente qu’angoissante pour le secteur, il est grand temps de s’intéresser à nos artistes, de diffuser leur travaux, de demander à les découvrir, de se bousculer dans leurs expositions, de les soutenir !

Qu’en est-il finalement de la visibilité sur notre territoire et du réel soutien de l’Etat à nos artistes ?

 

La représentation de notre patrimoine photographique

 

Le 5 mars 2020 ouvrait l’exposition « 50 ans de photographie française, de 1970 à nos jours », dans le jardin du Palais Royal à Paris, succédant à la sortie de l’ouvrage éponyme dirigé par Michel Poivert. Enfin un événement mettant en valeur notre photographie ! Néanmoins, son caractère exceptionnel rappelle que la création française est trop rarement valorisée alors que tant d’expositions d’envergure sont consacrées à la photographie internationale contemporaine.

Dans les structures consacrées au médium photographique, sur les six dernières années, la photographie française est largement sous-représentée dans les grands institutions et lieux d’exposition parisiens : au Jeu de Paume et au BAL (Paris), seulement 25 % et 27% des expositions sont consacrées à la photographie française. La Galerie des photographies du Centre Pompidou (Paris) atteint quant à elle une moyenne plus généreuse de 46%. Résultat
encourageant mais remis en doute par la visibilité intra-muros de cet espace au sein même de cette grande institution nationale. Nous condamnons toutefois les nouvelles orientations internationales que semblent prendre la Maison Européenne de la Photographie depuis le changement de direction avec une baisse fracassante de la représentation de la photographie française, la faisant passer de 62,5% en 2018 à 6,67% en 2019. En 2020, la barre se relève pour atteindre difficilement les 28% dans un contexte sanitaire tendu. L’Institut pour la Photographie, fraîchement inauguré à Lille en 2019, marque également un score décevant avec 25% sur sa programmation pour l’année 2019, également rattrapé l’année suivante, avec un taux bien supérieur à 74,19%. En périphérie de la capitale, la Maison Robert Doisneau enregistre depuis 2015, des résultats très constants sur la représentation de la photographie française dans sa programmation, avec une moyenne de 78%. L’année 2020 reste cependant difficile à analyser compte tenu de la situation liée à la pandémie de la Covid-19. De nombreuses programmations se sont vues modifiées ou annulées. Espérons donc que l’émergence de certains chiffres encourageants ne soit pas uniquement liés à cette crise. Nous aurions pu espérer une plus grande rigueur du côté de cette nouvelle institution.

En région, le musée Nicéphore Niépce à Chalon-sur-Saône et le musée de la photographie Charles Nègre à Nice, enregistrent quant à eux des valeurs très hautes entre 77% et 75% sur les six dernières années. On remarque en effet que les expositions des photographes français.es ou vivants en France représentent une moyenne de 65% sur les différents centres d’arts régionaux : une moyenne haute, qui a cependant été largement réduite par deux espaces que sont le Centre photographique Rouen Normandie et le Pavillon Populaire à Montpellier avec respectivement 23% et 18%. Des chiffres qui nous semblent bien évidemment insuffisants pour des structures qui bénéficient de fonds publics.

La position en faveur de la photographie française de ces établissements culturels régionaux s’explique de plusieurs façons. Il y a d’une part une volonté de mettre en avant la création régionale, dont l’impulsion peut-être donnée par les financements des conseils régionaux ou généraux. Mais, plus généralement, on assiste sans doute à un manque de moyens, qui ne permet pas à des structures plus modestes de faire venir des expositions depuis l’étranger, ou même de produire intégralement les expositions. C’est d’ailleurs dans cette dynamique que vingt-trois centres d’art dédiés à la photographie se sont regroupés en réseau, sous le nom de Diagonal, afin d’être en mesure de co-produire certaines expositions et organiser leur itinérance.

On retrouve cette même tangente sur les festivals dont les chiffres semblent refléter à nouveau que les plus hauts budgets ne sont pas les plus enclins à valoriser la photographie française. En moyenne entre 2015 et 2020, les Rencontres d’Arles et Visa pour l’image - Perpignan peinent difficilement à atteindre respectivement les 40% et 20%, La Gacilly quant à lui avoisine en moyenne un peu plus de 30% de représentation française, alors qu’un festival comme Les Femmes s’exposent à Houlgate, au budget beaucoup plus limité, atteint plus de 76% sur ses trois éditions d’existence. En effectuant une moyenne sur une dizaine des principaux festivals photographiques de France, la moyenne atteint 48%. Loin devant on retrouve L’été photographique de Lectoure et Les Rencontres photographiques de Lorient avec plus de 86%.

 

« Il est grand temps de mettre la photographie française à la mode », Michel Poivert

 

On aimerait envisager des quotas pour la production et la diffusion des œuvres photographiques comme il en existe pour la radiophonie ou le cinéma. Mais la loi LCAP l’interdit à l’Etat qui ne peut se placer que comme médiateur et suggérer. Pourtant, les subventions de l’Etat français permettent à des agences américaines de proposer des forfaits défiant toute concurrence aux groupes de presse, au détriment des petites structures et photographes indépendants. La survie de ces structures indépendantes est remise en doute et la diversité des sources est mise à mal.

Bien que cette loi empêche toute ingérence de l’Etat, rien n’empêche les programmateurs de prendre conscience de la place et de la valeur de la photographie française.
La photographie est née en France. Elle suscite aujourd’hui un engouement dans le monde entier et notre pays en est la vitrine incontournable et mondialement reconnue. On vient de partout pour y exposer ou pour y visiter les événements comme les Rencontres d’Arles, Visa pour l’image ou Paris Photo. Les plus grandes institutions mondiales font appel aux conservateurs et commissaires d’expositions français pour mettre en valeur leurs collections nationales. Mais qu’en est-il de la place des photographes français dans les institutions françaises ? À force de vouloir attirer le monde entier, ne sommes-nous pas en train d’oublier l’importance de nos artistes et leur valorisation ?

Il y a nécessité à ce qu’il y ait une vraie prise de conscience globale, depuis nos pouvoirs publics jusqu’aux directeur.rices de programmation. Notre territoire doit participer au rayonnement de notre création française pour qu’elle puisse être produite, considérée, montrée et se déployer nationalement comme internationalement.

Cette étude s’est interrogée sur la visibilité de la création photographique française, au sens large. Rappelons aussi que d’autres études plus spécifiques comme celle de la représentation des femmes photographes ont déjà été réalisées notamment par la sociologue Irène Jonas et publiée en mai 2020 : « Et pourtant, elles photographient… » ; ou encore l’Observatoire de la Mixité des Filles de la Photo, qui montrent les inégalités hommes / femmes dans le monde de la photographie.

 

À quand un lieu public spécialement dédié à la photographie française ?

N’oublions pas que la photographie française contemporaine vivante sera le patrimoine photographique français de demain.

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L'étude est dans 9 lives magazine.